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    R. BARBAROU

     

    ENTRE LES LIGNES (extraits) et autres poèmes

     

     

     

    PRINCESSE DE L’OMBRE

     

     

    Te souviens-tu de moi,

    O Princesse de l’ombre,

    Toi dont le souvenir

    Règne sur tous mes rêves ?

     

    Te souviens-tu de moi,

    O Reine de mes nuits,

    Persécutrice ardente

    Qui me poursuit sans trêve ?

     

    Te souviens-tu de moi,

    Qui n’étais que ton ombre,

    Ombre parmi les ombres

    De tes nombreux amants ?

     

    Se pourrait-il encore,

    Au fond de ta mémoire,

    Que subsiste un remords,

    Un souvenir charmant

     

    Que n’ont pu effacer

    Toutes tes aventures ?

    Aventures nombreuses,

    Nombreuses mais si brèves !

     

    Pourquoi me harceler

    Dans l’ombre de la nuit ?

    Pourquoi t’évanouir

    Lorsque la nuit s’achève ?

     

    (Poème mis en musique par Jacques Valade)

     

     

     

     

     

    QUE N’AI-JE POINT ÉCRIT…

     

     

     

    Que n’ai-je point écrit sur de somptueux voyages,

    Que n’ai-je point écrit sur les grands horizons.

    Je n’ai jamais quitté ma petite maison,

    Jamais quitté des yeux mon cher petit village.

     

    Que n’ai-je point écrit sur les chevaux sauvages,

    Sur les hordes d’Indiens, les troupeaux de bisons.

    Je n’ai vu gambader, par-dessus les buissons,

    Que Pat, mon vieux bâtard, en quête de plumage.

     

    Que n’ai-je point écrit sur l’océan immense,

    Sur les grands bateaux blancs que les vagues balancent,

    Moi qui n’ai jamais vu de la mer que photos.

     

    Que n’ai-je point écrit sur l’amour d’une blonde ;

    La nature ne m’a jamais fait de cadeau :

    Si je parle d’amour, je fais rire le monde.

     

     

    (Sonnet mis en musique par Jacques Valade)

     

      

     

     

    CONFESSION

     

     

     

    S’il est vrai, à ce qu’on raconte,

    Le jour du dernier jugement,

    Que nous devrons rendre des comptes

    Et déposer notre bilan,

    Il faudra que je me prépare

    À rencontrer le grand jury

    Qui trouverait plutôt bizarre

    Si je dis m’être bien conduit.

    Si je n’ai rien à déclarer,

    Personne ne voudra me croire.

    Si j’en dis trop ou pas assez,

    Je risque d’avoir des déboires.

    Alors voilà ! J’ai fait le point

    Et je dirai pour ma défense :

    Je n’ai jamais été méchant.

    Pardon pour toutes mes offenses

    À ceux que j’aurais pu blesser,

    Avec des mots que je regrette,

    Qui ont dépassé ma pensée,

    Que j’ai jetés aux oubliettes.

    Deux fois pardon à ceux que j’ai

    Frôlés avec ma bicyclette,

    À tous ceux que j’ai fait tousser,

    Souvent, avec mes cigarettes,

    À tous ceux que j’ai réveillés

    En jouant de la clarinette.

    Et l’on pourrait continuer

    Longtemps ainsi, jusqu’à perpète.

    Mais il ne me vient plus d’idée.

    Plus rien ne me revient en tête,

    J’ai peut-être un peu oublié,

    Ma mémoire n’est plus parfaite.

    Ah si ! Pardon à Maïté

    Que j’ai plaquée pour Marinette.

    Il faut aussi que je pardonne

    À tous ceux qui m’ont offensé :

    Celui qui jouait du trombone

    Le soir, quand j’attendais Morphée.

    Je pardonne aussi à Yvonne

    D’être partie avec Robert.

    Bébert, je l’avais à la bonne,

    Tant pis pour lui s’il a souffert.

    Enfin, je vais bien vérifier

    Si la liste est vraiment complète.

    Je ne suis pas vraiment pressé,

    Laissez-moi faire un peu la fête.

    Avant d’appeler le curé,

    Laissez-moi revoir Marinette.

    Avant d’appeler le curé,

    Laissez-moi revoir Maïté.

     

     

     

     

     

     

     

    FRISSONS

     

     

    J’aime me promener le soir, au cimetière,

    Quand le silence est grand, à l’heure où il fait gris           .

    Tout au long des allées, je marche solitaire,

    Rencontrant çà et là quelques chats rabougris.

     

    Ici l’égalité, comme chez les vivants,

    N’est pas visiblement la qualité première.

    Les bons et les méchants voisinent très souvent

    En ordre dispersé, de façon singulière.

     

    Ceux qui ont tout donné du temps de leur vivant,

    Qu’on a abandonnés sous quatre pieds de terre,

    Et les plus grands voleurs dans un caveau tout blanc,

    Protégés par un Christ sur une croix de pierre.

     

    Ici, un grand tombeau de dorure et de marbre

    Dont les noms sont gravés en majuscules d’or,

    Colonnades ornées qui dominent les arbres

    Et des dômes pointus comme un temple d’Angkor.

     

    Et puis, tout près de là, cachée dans les broussailles,

    Une vieille croix noire a pourri dans la vase.

    La bordure de fer qui n’est plus que ferraille

    Est tombée sur le sol, cassant le dernier vase.

      

    Cependant une chose est ici unanime :

    Ce silence profond qui ferait presque peur

    Et qui, s’il est rompu par un rien qui s’anime,

    Vous donne le frisson et vous pince le cœur.

     

     

    Après avoir laissé sur la tombe des Miens

    Quelques modestes fleurs, une brève prière,

    Je m’en vais à pas lents, par le petit chemin

    Qui sépare l’ancien  du nouveau cimetière.

     

    Et là-bas, tout au bout, je m’arrête souvent

    Devant un mausolée de granit et de marbre.

    Sur un socle, de bout, un grand squelette blanc

    Interpelle les gens par son regard macabre.

     

    De son doigt décharné, il désigne une plaque

    Sur laquelle on peut lire en des termes précis

    L’atroce vérité qu’on prend comme une claque

    Et qui met les plus grands au niveau des petits :

     

    « Passants ! Pourquoi détournez-vous la tête ?

    Pourquoi froncez-vous les sourcils ?

    Car j’ai été ce que vous êtes

    Et vous serez ce que je suis !... »

     

     

     

     

     

    RÉVOLTE

     

     

    Elle aurait eu vingt ans cette année, notre Claire,

    Mais voilà quatorze ans qu’elle est au cimetière.

    Si je rencontre Dieu, il faudra qu’il me dise

    Pourquoi l’avoir donnée et aussitôt reprise ?

     

    Depuis, je cherche en vain la logique des cieux,

    Qui voudrait qu’un enfant voie partir ses aïeux

    Et non pas un vieillard conduire au cimetière

    L’enfant de son enfant, qu’on vient de mettre en bière.

     

    On critique souvent la justice des hommes,

    Mais qu’el modèle ont-ils pour en faire une bonne ?

    C’est à se demander qui fait les lois là-haut.

    La terre est bien trop basse et le ciel bien trop haut.

     

    Pourquoi tant de douleurs, de larmes et de misères ?

    Jamais un seul écho à toutes nos prières !

    C’est à se demander ce qu’il y a là-haut,

    Car la terre est bien basse et le ciel bien trop haut…

     

     

     

      

    COULEURS FEMMES

     

    Quand j’ai su quel était, pour ce nouveau printemps,

    Le sujet proposé pour en faire un poème,

    J’ai beaucoup hésité, j’ai réfléchi longtemps ;

    Et puis je me suis dit : essaie quand même.

     

    Et aussitôt me vint le souvenir de Blanche,

    Originaire du Gabon,

    Mignonne avec ses yeux pervenche,

    Sa peau bronzée, son air fripon.

     

    Celle qui cultivait son beau jardin

    Avec beaucoup de goût, disaient ses voisins,

    Elle s’appelait Berthe

    Et chacun s’accordait à dire

    Qu’elle avait la main verte.

     

    La patronne du cabaret

    Qui s’appelait Maryse,

    On disait qu’elle buvait,

    Qu’elle était souvent grise.

     

     

    Souvenez-vous de Bergère,

    Celle qui gardait ses moutons,

    Elle était battue par son père

    Qui lui flanquait de beaux marrons !

     

    Quand je l’ai rencontrée, un soir,

    Elle avait bel et bien

    Un œil au beurre noir.

    Elle a rougi quand elle m’a vu.

     

    Et puis souvenez-vous de Rose,

    La fille à du Périer

    Qui a vécu seulement ce que vivent les roses,

    L’espace d’un matin.

     

    Mais ne nous égarons pas sur des histoires tristes

    Ou celles qui font rire mais plutôt jaune.

    Il existe des cas beaucoup plus optimistes

    Et de loin plus sérieux, même plus glorieux :

     

    Quand je vois Jeanne sur son cheval perchée,

    Tenant son drapeau blanc orné de fleurs de lys

    Et Marianne, par-dessus les barricades,

    Arborant du bleu, du blanc et du rouge,

    Je pense alors que toutes,

    Pour notre plaisir et notre bonheur,

    Nous en auront fait voir

    De toutes les couleurs.

     

     

     

    LE MALHEUR DES UNS… (fable)

     

     

     

    Par un jour de grand vent, une rose fanée

    S’échappa du rosier dont elle ornait la tige

    Et, n’étant plus maîtresse de sa destinée,

    Elle se laisse aller au gré de ses voltiges.

     

    Puis, lors d’une accalmie, elle revint sur terre

    Et chuta lourdement sur une pâquerette.

    Ah, non, je vous en prie ! Mais que venez-vous faire ?

    S’insurge avec raison la petite fleurette.

     

    Pourquoi m’avoir choisie pour freiner votre chute ?

    Vous l’avez fait exprès ou bien vous êtes folle !

    Me bousculer ainsi comme une grande brute !

    Voyez dans quel état vous mettez ma corolle ;

     

    - Arrête de crier car tu t’en remettras,

    Dit la Reine des fleurs en faisant la grimace,

    Et ne te plains pas trop. Qui te regrettera ?

    Peut-être un escargot ou bien quelque limace.

     

    Cette situation durera quelque temps,

    Jusqu’au jour où le vent remportera la rose

    Et puis l’éloignera définitivement.

    La pâquerette alors respire et se repose.

     

    Un beau jour deux enfants sont venus dans le pré.

    L’un d’eux eut une idée en pensant à leur mère :

    Si nous cueillions des fleurs pour en faire un bouquet,

    Je crois bien que demain c’est son anniversaire.

     

    - Mais tu n’y penses pas, lui répond son grand frère,

    Qu’espères-tu trouver dans ce champ de malheur ?

    Peut-être un pissenlit ou une primevère,

    Quelques  fleurs sans parfum et de triste couleur.

     

    Poursuivant ses recherches, le jeune garçon

    Continue son chemin et puis soudain s’arrête,

    Immobile, en arrêt, comme en admiration,

    Devinez devant quoi… ? Devant la pâquerette !

     

    Celle dont on parlait au début de l’histoire.

    Elle avait embelli et de son aventure

    Elle sortait grandie, savourant sa victoire

    Et exhibant son front fier et de belle allure.

     

    Le garçon, à genoux, la cueille avec douceur.

    Il la porte à son nez et appelle son frère :

    -Que ne disais-tu pas de ce champ de malheur ?

    Viens sentir cette fleur, c’est extraordinaire !

     

    Un miracle en cadeau pour un anniversaire.

    Qui aurait pu penser voir une telle chose ?

    Qu’aurions-nous pu trouver de mieux pour notre mère ?

    Incroyable mais vrai… la fleur sentait la rose !

     

    En courant les enfants rentrent à la maison,

    Emportant avec eux la précieuse trouvaille

    Que leur mère reçut avec admiration ;

    Elle cherche aussitôt un écrin à sa taille.

     

    Sitôt dit sitôt fait, elle entra au salon :

    Dans un vase uniflore en cristal de Bohême,

    On lui trouva enfin sous des acclamations

    La place réservée à tout ce que l’on aime.

     

    Une fleur sans parfum et de triste couleur

    Peut, avec le hasard, faire changer les choses,

    Offrir un grand plaisir et même du bonheur,

    Répandant alentour un doux parfum de rose.

     

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  • R. BARBAROU

    ENTRE LES LIGNES (extraits)

     

     

     

     

    QUESTION

     

     

    Quand je me remémore

    Les gens qui m’ont aimé,

    Ceux qui m’aiment encore,

    Ceux qui m’ont respecté ;

     

    Ceux qui furent la cause

    De mes plus grands chagrins,

    Ceux qui se disposent

    À me trahir demain ;

     

    Ceux qui sont toujours là,

    En toutes circonstances,

    Qui partagent mes joies

    Ainsi que mes souffrances ;

     

    Ceux qui ont refusé

    De me serrer la main,

    Ceux qui m’ont tout donné

    Quand je n’attendais rien ;

     

    Je me demande alors

    Comment est fait le monde,

    D’où vient ce désaccord

    Aux racines profondes.

     

    Elle est là la question,

    N’en déplaise à Shakespeare,

    Pourquoi y a-t-il les bons

    Et ceux qui veulent nuire ?

     

     

     

    ÉVASION

     

     

    Quand tu décideras de partir en voyage,

    Choisis pour chaque jour un nouveau paysage.

    Ne t’arrête jamais sur ce qui semble laid,

    Mais ne t’attarde pas sur tout ce qui te plaît !

     

    Ne compte pas ton temps, mais surtout n’en perds pas

    Car une vie c’est court et ça ne suffit pas

    À trouver le loisir de parcourir le monde,

    Même depuis qu’on sait que notre terre est ronde.

     

    N’attire pas vers toi ni l’amour ni la haine,

    Ne réponds surtout pas à l’appel des sirènes.

    Laisse la liberté te prendre par la main,

    Elle te montrera le meilleur des chemins.

     

    Regarde devant toi et jamais en arrière ;

    Laisse tes souvenirs se couvrir de poussière,

    Pour éviter ainsi que naissent des regrets

    Et sentir, un matin, des chaînes à tes pieds.

     

    Ne succombe jamais aux tentations perfides ;

    Ne t’encombre de rien, garde tes poches vides.

    Il te faudra lutter pour ce qui t’appartient,

    Si tu es démuni, on ne te prendra rien.

     

     

      

     

     

    ANNIVERSAIRE

     

     

    J’ai fait, pour ton anniversaire,

    Ce modeste petit quatrain.

    Bien sûr, ce n’est  pas du Molière,

    Ni du Rousseau, ni du Machin.

     

    Je l’a fait seul, sans dictionnaire

    Et même sans mon grand frangin

    Qui aurait mis, pour mieux te plaire,

    Des mots qu’on ne comprend pas bien.

     

    Je sais, je n’ai pas le talent

    De maîtriser la poésie,

    Mais plus tard, quand je serai grand,

    Je t’en promets de plus jolies.

     

    J’aurais aimé te couvrir d’or

    Et te parer de beaux bijoux,

    Mais pourquoi pas, sans plus d’effort,

    T’offrir la lune ou le Pérou.

     

    J’ai bien cassé ma tirelire,

    Hélas, il n’en est rien sorti.

    Je voulais pourtant te séduire,

    Voilà ce que je t’ai écrit :

     

    Je ne t’aimais pas davantage

    Quand tu avais un an de moins.

    L’amour ne dépend pas de l’âge,

    Car lorsqu’on aime, on a quinze ans.

     

     

       

     

     

    TOUT BIEN PESÉ, ou les raisins verts

     

     

    Demain, je lui dirai sûrement que je l’aime,

    Que chaque jour qui passe est un jour de perdu,

    Perdu pour notre amour, pour elle et pour moi-même,

    Mais propice à l’oubli et aux malentendus.

     

    C’est aujourd’hui demain ; je lui ai dit bonjour.

    Elle avait l’air pressé et n’a pas entendu.

    Je crois qu’il me faudra attendre un autre jour.

    Mais chaque jour qui passe est un jour de perdu.

     

    Ce matin, par bonheur, je viens de la croiser,

    Je lui ai fait un signe qu’elle n’a pas vu.

    Je crois que je devrais la serrer de plus près.

    Mais chaque jour qui passe est un jour de perdu.

     

    Ce soir, c’est décidé, je pars à sa conquête.

    Si ça ne marche pas je veux être pendu.

    Ce soir on va danser, on va faire la fête,

    Car chaque jour qui passe est un jour de perdu.

     

    Je l’ai vue de plus près ; je la croyais plus belle,

    Mais la beauté n’est pas la seule des vertus,

    Car je me sens si bien lorsque je suis près d’elle

    Et chaque jour qui passe est un jour de perdu.

     

    Quand je lui ai souri elle a tourné la tête.

    Je crois que j’ai bien fait d’avoir tant attendu.

    Elle est aveugle et sourde et en plus elle est bête.

    Tout bien pesé je crois que je n’ai rien perdu.

     

    Car chaque jour qui passe est un jour de perdu.

     

    (Poème mis en musique par Jacques Valade et par Léon  Auriol)

     

     

      

     

     

    RÈVERIE

     

     

    Je sais qu’un jour viendra

    Où nous serons heureux,

    Toi et moi.

     

    Alors nous partirons

    Vers l’océan tout bleu,

    Toi et moi.

     

    Sur la plage, au soleil,

    Nous aurons notre place.

    Le soir nous dormirons

    Dans les plus grands Palaces,

    Oui, toi et moi.

     

    Nous nous promènerons

    Dans un fiacre tout blanc

    Avec un cocher noir

    Portant chapeau et gants.

     

    Nous donnerons des sous

    Aux mendiants de la côte

    Et certains se battront

    Pour nous ouvrir les portes.

     

    Oui, nous la quitterons

    Cette rue dégueulasse

    Et ce ruisseau puant

    Où tu trempes les pieds,

     

    Quand nous l’aurons trouvé,

    Le gros porte-monnaie.

       

     

     

     

     

    LULU

     

     

     

    Tu as bien fait, je crois, d’arrêter la musique,

    Même si l’on en dit qu’elle adoucit les mœurs.

    Tu as cassé ton luth, n’en sois pas nostalgique.

    Va, ne regrette rien, ce n’est pas un malheur.

     

    Je te connais fort bien, ma petite Lucienne,

    C’est moi qui t’ai appris à jouer au cerceau.

    Tu as su nous charmer, comme une magicienne,

    Mais d’autres mélodies naîtront de tes pinceaux.

     

    Symphonies, harmonies, poésies musicales

    Se déclinent aussi en beauté picturale

    Et ont le même don qui fait vibrer nos cœurs.

    Tu maîtrises très bien les couleurs les plus fortes,

    Tu donneras la vie à des natures mortes.

    Crois-moi, nous aimons bien quand tu nous peins des fleurs.

     

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    RAYMOND BARBAROU

     

    Entre les lignes (extraits 2)

     

     

     

     

    CAUCHEMAR

     

    C’est bien toi que j’ai vue, riant au bras d’un homme,

    Enveloppés d’un drap tous deux comme fantômes.

    Mais oui c’est bien ta voix que j’entends murmurer,

    Et puis ces cheveux-là… je ne puis me tromper !

     

    Quand j’ai crié ton nom, comme un coup de fusil,

    Vous avez pris l’envol au milieu de la nuit.

    Vous avez tournoyé, légers comme l’éther,

    Puis vous êtes posés sur le grand sapin vert.

     

    J’ai voulu couper l’arbre, je n’avais que mes dents,

    Je m’y suis acharné jusqu’à l’odeur du sang.

    Alors vous avez ri à épuiser vos forces,

    D’un rire d’ectoplasme avec l’accent d’Écosse.

     

    J’entrepris aussitôt de gravir les étages,

    Bousculant çà et là, avec force tapage,

    De grands oiseaux de nuit, serpents et tarentules,

    Me moquant en passant des grands travaux d’Hercule.

     

    Arrivé au sommet, vous étiez repartis.

    Vous voliez bien plus bas, à hauteur des taillis.

    Si c’est vraiment l’amour qui vous donne des ailes,

    Les miennes assurément doivent être très belles.

     

    Aussitôt rassuré par ce discours simpliste,

    Je plongeai, bras en croix, comme un parachutiste.

    Hélas, rien ne s’ouvrit, ni plumes ni tissus,

    Et me voilà piquant tout droit vers le talus.

     

    Le choc fut très violent… sur le bois de mon lit.

    Grâce à Dieu, je rêvais, tu l’avais bien compris.

    Oui, mais sans doute pas le voisin du dessous,

    Qui depuis lors m’évite et me prend pour un fou.

      

      

      

     

    RÉVEIL

     

     

    Toi qui m’as tout donné

    Dans le plus grand silence,

    Tu n’as jamais osé

    Imposer ta présence.

     

    Mon bonheur se lisait

    Dans le fond de tes yeux,

    Mais comme tu souffrais

    Quand j’étais malheureux.

     

    J’ai même osé parfois

    Te faire ma complice

    Et j’ai tout fait, je crois,

    Pour que tu me haïsses.

     

    Pour toi, je n’ai jamais

    Écrit de belles choses,

    Je n’ai jamais pensé

    À t’offrir une rose.

     

    Il a fallu qu’un jour

    Une larme trahisse

    À la fois ton amour

    Et tous tes sacrifices,

     

    Pour que mes yeux enfin

    Découvrent le secret

    D’un amour ô combien

    Tristement résigné.

     

    Tu as éveillé en moi

    Une émotion profonde,

    Alors n’hésitons pas,

    Sans perdre une seconde,

     

    Partons loin des remparts,

    Prenons de la distance,

    À compter de ce soir,

    Pour nous tout recommence.

      

      

        

     

    S.O.S. JÉSUS

     

     

     

    Dans moins d’un quart de siècle, il y aura deux mille ans*

    Que tu n’es pas venu sur notre petit monde.

    Comment fais-tu là-haut pour mesurer le temps ?

    Sans doute nos années sont pour toi des secondes.

     

    Je suis bien convaincu que ta charge est très lourde

    Et aussi qu’on t’attend dans d’autres univers ;

    Mais montre-toi un jour, à Lisieux ou à Lourdes,

    Sinon, nous les croyants, de quoi aurons-nous l’air ?

     

    Ils sont déjà nombreux, ceux qui nient, ceux qui doutent,

    Et aussi ceux qui rient en refusant de croire ;

    Rencontre-les, un jour, au détour de leur route

    Et puis raconte-leur ce que fut ton histoire.

     

    Fais-leur toucher du doigt toutes tes cicatrices,

    Montre-leur la tunique et les taches de sang ;

    Donne-leur le détail de tous tes sacrifices,

    Explique-leur pourquoi, en leur disant comment.

     

    Si je te prie, Seigneur, de nous donner des preuves,

    Ce n’est guère pour moi qu suis ton serviteur,

    J’ai toujours traversé tes plus dures épreuves,

    Mais eux, ne peux-tu pas les tirer par le cœur ?

     

    Alors ils viendront tous assister à ma messe,

    Et leurs chants rempliront d’échos notre maison

    Et je les entendrai, tout à tour, en confesse,

    Me confirmer, enfin, que j’avais bien raison.

     

    *(1979)

     

      

     

     

    ABANDON

     

     

    L’avais-tu mérité

    Cet amour si profond

    Que je t’avais voué

    Avec tant de passion ?

     

    Tu n’as pas su garder

    Ce bien le plus précieux

    Que je t’avais donné

    D’un élan merveilleux.

     

    C’est vrai que j’avais tort

    De t’aimer à ce point,

    Je les entends encore,

    Mes amis, mes parents.

     

    Ils avaient donc raison,

    Les gens qui me plaignaient,

    Comme ils avaient raison,

    Tous ceux qui se moquaient.

     

    Poursuis donc ton chemin,

    Le mien s’arrête là.

    Je ne regrette rien

    Et ne pleurerai pas.

     

    Tu m’as fait trop souffrir

    Et mes yeux sont taris ;

    Je suis las de bâtir

    Sur ce que tu détruis.

     

     

     

     

     

     

    LOIN DE TOI

     

     

     

    Quand je suis loin de toi, tout me paraît futile,

    L’oiseau, la fleur, la mer, ces choses inutiles

    Qui veulent tout de moi, le regard et l’esprit,

    Comme si j’étais là pour rechercher l’oubli.

     

    Le vol du goéland que l’on dit si gracieux

    Ne parvient pas pourtant à retenir mes yeux.

    Et que trouvait Daudet dans le chant des cigales ?

    Où est la mélodie du vent dans ses rafales ?

     

    Ce vent qui, paraît-il, nous chante tant de choses,

    Celui qui, caressant les lauriers et les roses,

    Inspira à la fois Chopin et George Sand,

    Près de Valdemosa aux jardins luxuriants.

     

    Même pas ce vent-là ne répète ton nom.

    Pourtant je le lui ai dit de diverses façons ;

    Je l’ai dit doucement, au gré de mes pensées,

    Et puis brutalement je le lui ai crié.

     

    Pas même un seul écho de celle que j’adore !

    Rien que le bruit des flots que le vent évapore.

    Quand je suis loin de toi, tout me paraît futile,

    L’oiseau, la fleur, la mer, ces choses inutiles…

     

     

     

     

     

    LE GOÉLAND

     

     

     

    Mon bel oiseau tout blanc,

    Va voir celle que j’aime,

    Dis-lui que je l’attends,

    Qu’il faut qu’elle revienne.

     

    Dis-lui que j’ai erré

    Très longtemps sur la plage,

    Après que son voilier

    Ait quitté le rivage.

     

    Je passe tout mon temps

    Les yeux vers l’horizon

    À chercher dans le vent

    La douceur de son nom.

     

    Sans elle, aucun chemin

    Ne mène à quelque chose,

    Plus jamais mon jardin

    N’a vu fleurir de rose.

     

    J’ai vu combien de fois

    S’échanger les saisons ?

    Depuis combien de mois

    Vacille ma raison ?

     

    Dis-lui que dans mon cœur

    S’entassent les nuages

    Et que parfois j’ai peur

    D’oublier son visage !

     

     

    (Poème mis en musique par Jacques Valade)

     

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    ENTRE LES LIGNES (extraits)

    (Aldéran 2004)

     

      

     

     

     

    INCERTITUDE  

     

     

     

    J’ai déjà l’impression d’avoir beaucoup vécu,

    Que je crois tout savoir et n’avoir rien perdu

    Des leçons de la vie, de tout ce qui m’entoure ;

    J’ai connu le bonheur, la peur et la bravoure.

     

    J’ai subi les horreurs de la terrible guerre,

    Comme les ont connues mon grand-père et mon père.

    Plus rien ne me fait peur, ni l’honneur ni la honte ;

    D’ailleurs qui a raison ? C’est celui qui raconte.

     

    Je sais que je pourrais, sans effort surhumain,

    Ôter la vie d’un homme en serrant de mes mains,

    Et la donner aussi, avec moins de contrainte,

    Au délicieux instant d’une bien douce étreinte.

     

    Je suis sûr que l’amour est une belle chose,

    Que ce tendre bouton, demain, deviendra rose.

    Je sais que chaque nuit les astres brilleront

    Et que la chrysalide deviendra papillon.

     

    Je sais que pour certains la vie est bien amère,

    Et que mourra ce soir le fragile éphémère.

    Je sais que l’hirondelle, lorsqu’elle noua quittés,

    Revient chaque printemps égayer nos cités.

     

    Je sais qu’après la pluie… Mais au fait, à quoi bon

    Savoir toutes ces choses et avoir le frisson,

    En demandant au ciel de m’apporter la preuve

    Que ton amour pour moi ne craint aucune épreuve ?

     

     

     

     

    SOLITUDE

     

     

    Te voilà disparue,

    C’est partout le désert,

    Même dans la cohue

    Où parfois je me perds

    En te cherchant partout,

    Quand l’ennui me dévore,

    Maudissant le mois d’août

    Qui te reprend encore.

    Plus rien autour de moi

    N’attire mon regard,

    Pas le moindre minois

    Ni corsage gaillard.

    Dans la rue, les passants

    Marchent sans dire un mot

    Comme des morts vivants

    Échappés d’un tombeau.

    Dans mes nuits quelquefois

    J’aperçois ton fantôme

    Ou bien je t’entrevois

    Heureuse au bras d’un homme.

    J’ai parfois l’impression

    Dans cette solitude

    Que de ma déraison

    Je ressens le prélude.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ILLUSION

     

     

     

    Pourquoi faut-il qu’un jour finisse un si doux rêve ?

    Ce beau mais lourd passé qui s’accroche à mon cœur

    Pèse de tout son poids sur ma vie qui s’achève

    Et sonne tristement le glas de mon bonheur.

     

    La fin de ton amour met un terme à ma vie ;

    Car ma vie c’était toi et tu m’as tout repris.

    L’abcès qui, dans mon cœur, grandit de jour en jour

    Voit mourir avec moi ce bel et grand amour.

     

    Je t’avais dit, c’est vrai, si un jour on se lasse,

    Alors, bien franchement, il faudra l’avouer ;

    Mais l’amour a grandi avec le temps qui passe,

    Et après tant d’années, j’avais tout oublié.

     

    Je n’aurais jamais cru qu’un jour cela arrive,

    Surtout brutalement, comme ça s’est passé.

    J’avais confiance en moi, cruelle erreur naïve,

    Je nous croyais uni jusqu’à l’éternité.

     

    Mais la réalité, au visage livide,

    Dont le rictus hideux hante toute mes nuits,

    Me laisse désarmé, le cœur et les mains vides

    Et me punit encore en me laissant la vie.

     

     

      

     

     

    SOUVENIR

     

     

     

    Chacun a dans sa vie un lieu de préférence,

    Que ne peut effacer l’usure des saisons ;

    Il est déjà bien loin le temps de mon enfance,

    Je revois pourtant bien ta petite maison.

     

    Certains ont dans leur cœur une simple ruelle,

    Un banc, un arbre, un parc ou un bosquet fleuri.

    Pour moi c’est ta maison, mon souvenir fidèle,

    Celui que ma mémoire n’a jamais trahi.

     

    Il m’arrive parfois, au hasard de ma route,

    De passer devant elle, même de m’arrêter ;

    Et pendant ce temps-là, j’espère et je redoute

    De voir à ta fenêtre s’entrouvrir les volets.

     

    Je sais que si cela venait à se produire,

    Ce ne serait plus toi que je verrais alors

    M’accueillir comme avant, avec ton beau sourire,

    Donnant à ton visage une auréole d’or.

     

    Où es-tu, cher Amour de mes jeunes années,

    Heureux et rayonnant de jeunesse et de joie ?

    Nous qui avions juré d’unir nos destinées,

    Où t’a mené la vie ? Te souviens-tu de moi ?

     

     

     

     

    (Poème mis en musique par Jacques Valade)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    RUPTURE

     

     

    Lorsque tu m’as laissé, sur le quai de la gare,

    Après m’avoir repris la clé de ta maison,

    Quelques instants avant que ton train nous sépare,

     

    Mon Dieu que ça fait mal de perdre la raison !

     

    Sans même avoir connu la moindre des querelles,

    Tu m’annonçais soudain qu’il fallait nous quitter ;

    Je n’ai jamais senti de douleur plus cruelle,

     

    Mon Dieu que ça fait mal de perdre l’être aimé !

     

    Comme si dans mon cœur une lame glacée

    Venait de décider du dernier de mes jours,

    J’ai cru que de mon corps mon âme s’effaçait ;

     

    Mon Dieu que ça fait mal de perdre son amour !

     

    Je suis resté muet, sans voir et sans comprendre,

    Sentant que, de ma vie, s’échappait le meilleur,

    Quand on le voit mourir sans pouvoir le défendre,

     

    Mon Dieu que ça fait mal de perdre le bonheur !

     

    Et puis, subitement, plus rien ni plus personne ;

    L’espace d’un instant et tout était fini.

    J’ai aussitôt pensé, que Dieu me le pardonne,

     

    Qu’il eût été bien doux de perdre alors la vie !

     

     

     

    (Poème mis en musique par Jacques Valade)

     

     

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