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PREMIER PRIX DU JURY
LA CLOCHE D’OUGLITCH
Sur un rivage abrupt du grand fleuve Volga
Du tréfonds de l’église, une cloche résonne.
Si vous tendez l’oreille elle vous contera
Le tragique secret que son âme emprisonne :
« Écoute, voyageur, cette histoire d’antan,
À l’époque où Boris1 avait sous sa tutelle
Le petit Dimitri, fils du terrible Yvan,
Dont la mort intervint, au dire : « accidentelle »
Cet enfant que le sort appelait à régner
Chuta sur un poignard qui lui trancha la gorge,
« Hasard » bien malheureux qu’il fallut consigner
Alors que Mai, clément, verdissait les champs d’orge.Je me tenais alors au sommet du beffroi
Voyant du spadassin le sinistre visage ;
Pour révéler à tous mon profond désarroi
Je sonnais sans répit comme le veut l’usage.
Ce zèle me valut, oh triste souvenir,
L’amertume du knout2 : il fallait un coupable !
Condamnée au silence, avant de me bannir
Dans le lointain Tobolsk3, sentence irrévocable !
Rétablie aujourd’hui dans le kremlin d’Ouglitch
Au cœur du sanctuaire où se rendent, fidèles,
Les jeunes orphelins priant le tzarévitch
Dont je garde à jamais les plaintes immortelles. »
Aline MUSCIANISI
(Premier Prix du Jury)1Avec Dimitri s’éteignit la dynastie des Riourikides. Boris Godounov lui succéda.
2Fouet : À l’époque en Russie, on infligeait aux cloches porteuses de funestes nouvelles, les mêmes châtiments qu’aux humains.
3Ancienne capitale de Sibérie. La cloche y resta 300 ans en exil.
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