• Poèmes primés 2015

     

    * Jean-Louis Lacroix (39)

    GRAND PRIX DU RECUEIL 2015

    Extrait de « D’un monde à l’autre »

     

    J’écris

     

    J’écris, je suis vivant ! Mon encre de couleur

    Ouvrira le tombeau de la page glacée.

    Les mots se lèveront, même dans la douleur

    Ils feront refleurir la terre ensemencée.

     

    J’écris, présent témoin des soirs sans impromptus

    Et des nuits de détresse éteignant toute flamme,

    Des tremblements de cils, des regards entendus,

    Des matins radieux qui font léviter l’âme.

     

    J’écris pour le cœur pur que l’on a condamné,

    Pour tous les orphelins, pour tous les apatrides,

    Et le baiser promis que je n’ai pas donné,

    Les amants éternels qui n’ont pas pris de rides.

     

    J’écris des mots d’amour que je prononce mal,

    Et, dans mon désarroi, je confie un poème

    Au pigeon voyageur, ce facteur sans égal,

    Plus tendre qu’Internet pour offrir un « je t’aime » !

     

    J’écris pour recevoir un billet en retour,

    Un bouquet printanier vert comme l’espérance,

    Peignant ton avenir avec un troubadour

    Où nos anciens émois seraient en cohérence.

     

    J’écris parce qu’un mot ne subit pas les ans,

    Ce temps qui méconnaît la jeunesse et l’altère ;

    Le Verbe est éternel comme les océans

    Son avenir se lie à celui de la Terre.

     

     

    * Jacques Larroche (31)

    PRIX DU SONNET

     

     Déchéance

     

    Ce clochard que tu vois, les mains dans les poubelles,

    Puis devant les cafés ramasser les mégots,

    Je l’ai connu jadis : un coq sur ses ergots

    Se pavanant le soir aux bras des toutes belles.

     

    Distingué, séducteur, d’allures solennelles,

    Certains l’avaient élu  « le prince des tripots »

    Mais d’autres, les jaloux, selon quelques ragots,

    Le rangeaient, c’est fatal, au nombre des donzelles…

     

    Pas le moindre palace où ne brille son nom,

    Même un procès sans fin lui servait de renom,

    Or, le démon du jeu dévora sa fortune.

     

    Lui découvrit l’enfer après le paradis,

    Des maîtresses d’antan, aujourd’hui, plus aucune,

    Laid, pitoyable et seul, il habite un taudis.

     

     

    * Christiane Rolland (13)

    PREMIER PRIX CLASSIQUE FORME FIXE (MAILLET)

     

    Apprentissage

     

    « C’est en forgeant ses vers que l’on devient poète »*

    Les mots, assurément, peuvent dire un émoi.

    Ils sortent droit du cœur pour aller vers la tête,

    Mais là, tout se complique, allez savoir pourquoi !

     

    Á chaque nom fixé, mettez une épithète :

    C’est en forgeant ses vers que l’on devient poète

    Et si la mélodie, au milieu du parcours

    Ne sublime pas l’âme, il faut changer son cours.

     

    Relire un bon recueil pour trouver la recette,

    L’appliquer en tout point comme on fait un devoir ;

    C’est en forgeant ses vers que l’on devient poète,

    Quitte à recommencer pour ne pas décevoir.

     

    Parfois, la prosodie en chemin vous arrête,

    Les rythmes et les sons mettent-ils en beauté

    Tout l’éclat du poème en montrant sa clarté ?

    C’est en forgeant ses vers que l’on devient poète…

     

    *(Conseil donné dans un traité de prosodie).

     

     

    * Frédéric Roche (13)

    PREMIER PRIX CLASSIQUE forme NON FIXE

     

    Le Rêve « fracassé »

     

    Je lus tard cette nuit, jusqu’à ce que mon livre

    S’échappant de ma main me réveille en sursaut.

    Sur mes pieds dégouttait mon gobelet de cuivre

    Quand dehors, pluie et vent, rageurs, donnaient l’assaut.

     

    Les éclairs, dans le ciel, portaient des coups de griffe.

    On heurta mon vantail, j’ouvris et, devant moi,

    Espérait, dans l’orage, un vilain escogriffe :

    Fripes de vagabond mais prestance d’un roi.

     

    « Cher Monsieur, me dit-il une vieille roulotte

    Á cent pas de chez vous, a rompu ses essieux,

    Des comédiens y sont, croyez qu’on y grelotte,

    Veuillez considérer ce qui tombe des cieux…

     

    Mais, que je vous confesse, on me dit Matamore,

    Rôle que les acteurs ne se disputent pas,

    J’avais faim, j’étais pauvre…et je le suis encore… »

    J’offris, jusqu’au matin, le gîte et le repas.

     

    Une accorte soubrette, une belle ingénue,

    Un galant, un barbon et mon nouvel ami

    Dévoraient ma réserve, exempts de retenue…

    Le nez dans mon godet…je me suis rendormi.

     

    Le matin au réveil, vide était ma soupière,

    Vide semblait de même un quartaut de Cognac !

    Le sol tanguait un peu quand j’ouvrir la paupière…

    Mais une nuit je fus Baron de Sigognac.

     

     

    * Yvonne Nave (31)

    PREMIER PRIX DE Néo-classique

     

    Seul sur la route

     

    Dans la sombre vallée où, guettant la lumière

    Nous marchons pesamment, voûtés par le chagrin,

    Il apparaît, parfois, une frêle chaumière

    Qui devient, dans la nuit, l’espoir des pèlerins.

     

    Un monde minéral et sans âme qui vive

    Borde notre trajet où la foi n’a plus cours.

    Balloté sur le flot notre barque dérive,

    Nous implorons le ciel pour trouver du secours.

     

    Le temps, les aléas, lorsque le pas trébuche

    Sur l’obscur horizon et son morne avenir,

    Déforment, sans douceur, la plus petite embûche.

    Un mirage lointain s’applique à tout ternir.

     

    Se maintenir debout pour suivre son étoile

    Sur la route choisie exige alacrité

    Car le bleu de l’azur n’écrit rien sur sa toile :

    Il faudra lutter seul contre l’adversité.

     

     

    * Annie Saulo (34)

    Premier prix de poésie libérée

     

    L’ENVOLÉE D’UNE FEUILLE

     

    Mon regard a capté l’envolée d’une feuille

    Dans l’univers doré d’un automne précoce.

    Légère et délicate, elle virevoltait

    Dans sa robe d’opale aux nuances miellées,

    Allant de-ci, de-là, certainement guidée

    Par la lyre enchantée d’un ange musicien,

    Ou était-ce le vent qui, l’ayant détachée

    D’une branche vivace attisait son envie

    De traverser l’espace en quête d’aventures ?

    Peu importait l’élan qui la poussait au loin,

    Seul comptant le doux rêve offert par la nature :

    Celui qui l’entraînait, en toute liberté

    Dans l’éther azuré vers un nouveau destin.

    Vagabonde éblouie par l’ivresse suprême,

    Elle a plané longtemps, pareille à l’oisillon

    Lors de son premier vol. Mais, soudain voltigeant

    Au-dessus de ma tête, elle a frôlé ma joue

    En une humble caresse avant d’aller chuter

    Sur le seuil de ma porte où l’a quittée la vie.

    Émue par son parcours de jeune ballerine

    Dans le creux d’une main, j’ai recueilli son âme

    Et versé sur sa soie la larme du poète

    Avant de la glisser dans les pages d’un livre,

    Souvenir attendri d’une course au mirage.