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ENTRE LES LIGNES (extraits 2)
RAYMOND BARBAROU
Entre les lignes (extraits 2)
CAUCHEMAR
C’est bien toi que j’ai vue, riant au bras d’un homme,
Enveloppés d’un drap tous deux comme fantômes.
Mais oui c’est bien ta voix que j’entends murmurer,
Et puis ces cheveux-là… je ne puis me tromper !
Quand j’ai crié ton nom, comme un coup de fusil,
Vous avez pris l’envol au milieu de la nuit.
Vous avez tournoyé, légers comme l’éther,
Puis vous êtes posés sur le grand sapin vert.
J’ai voulu couper l’arbre, je n’avais que mes dents,
Je m’y suis acharné jusqu’à l’odeur du sang.
Alors vous avez ri à épuiser vos forces,
D’un rire d’ectoplasme avec l’accent d’Écosse.
J’entrepris aussitôt de gravir les étages,
Bousculant çà et là, avec force tapage,
De grands oiseaux de nuit, serpents et tarentules,
Me moquant en passant des grands travaux d’Hercule.
Arrivé au sommet, vous étiez repartis.
Vous voliez bien plus bas, à hauteur des taillis.
Si c’est vraiment l’amour qui vous donne des ailes,
Les miennes assurément doivent être très belles.
Aussitôt rassuré par ce discours simpliste,
Je plongeai, bras en croix, comme un parachutiste.
Hélas, rien ne s’ouvrit, ni plumes ni tissus,
Et me voilà piquant tout droit vers le talus.
Le choc fut très violent… sur le bois de mon lit.
Grâce à Dieu, je rêvais, tu l’avais bien compris.
Oui, mais sans doute pas le voisin du dessous,
Qui depuis lors m’évite et me prend pour un fou.
RÉVEIL
Toi qui m’as tout donné
Dans le plus grand silence,
Tu n’as jamais osé
Imposer ta présence.
Mon bonheur se lisait
Dans le fond de tes yeux,
Mais comme tu souffrais
Quand j’étais malheureux.
J’ai même osé parfois
Te faire ma complice
Et j’ai tout fait, je crois,
Pour que tu me haïsses.
Pour toi, je n’ai jamais
Écrit de belles choses,
Je n’ai jamais pensé
À t’offrir une rose.
Il a fallu qu’un jour
Une larme trahisse
À la fois ton amour
Et tous tes sacrifices,
Pour que mes yeux enfin
Découvrent le secret
D’un amour ô combien
Tristement résigné.
Tu as éveillé en moi
Une émotion profonde,
Alors n’hésitons pas,
Sans perdre une seconde,
Partons loin des remparts,
Prenons de la distance,
À compter de ce soir,
Pour nous tout recommence.
S.O.S. JÉSUS
Dans moins d’un quart de siècle, il y aura deux mille ans*
Que tu n’es pas venu sur notre petit monde.
Comment fais-tu là-haut pour mesurer le temps ?
Sans doute nos années sont pour toi des secondes.
Je suis bien convaincu que ta charge est très lourde
Et aussi qu’on t’attend dans d’autres univers ;
Mais montre-toi un jour, à Lisieux ou à Lourdes,
Sinon, nous les croyants, de quoi aurons-nous l’air ?
Ils sont déjà nombreux, ceux qui nient, ceux qui doutent,
Et aussi ceux qui rient en refusant de croire ;
Rencontre-les, un jour, au détour de leur route
Et puis raconte-leur ce que fut ton histoire.
Fais-leur toucher du doigt toutes tes cicatrices,
Montre-leur la tunique et les taches de sang ;
Donne-leur le détail de tous tes sacrifices,
Explique-leur pourquoi, en leur disant comment.
Si je te prie, Seigneur, de nous donner des preuves,
Ce n’est guère pour moi qu suis ton serviteur,
J’ai toujours traversé tes plus dures épreuves,
Mais eux, ne peux-tu pas les tirer par le cœur ?
Alors ils viendront tous assister à ma messe,
Et leurs chants rempliront d’échos notre maison
Et je les entendrai, tout à tour, en confesse,
Me confirmer, enfin, que j’avais bien raison.
*(1979)
ABANDON
L’avais-tu mérité
Cet amour si profond
Que je t’avais voué
Avec tant de passion ?
Tu n’as pas su garder
Ce bien le plus précieux
Que je t’avais donné
D’un élan merveilleux.
C’est vrai que j’avais tort
De t’aimer à ce point,
Je les entends encore,
Mes amis, mes parents.
Ils avaient donc raison,
Les gens qui me plaignaient,
Comme ils avaient raison,
Tous ceux qui se moquaient.
Poursuis donc ton chemin,
Le mien s’arrête là.
Je ne regrette rien
Et ne pleurerai pas.
Tu m’as fait trop souffrir
Et mes yeux sont taris ;
Je suis las de bâtir
Sur ce que tu détruis.
LOIN DE TOI
Quand je suis loin de toi, tout me paraît futile,
L’oiseau, la fleur, la mer, ces choses inutiles
Qui veulent tout de moi, le regard et l’esprit,
Comme si j’étais là pour rechercher l’oubli.
Le vol du goéland que l’on dit si gracieux
Ne parvient pas pourtant à retenir mes yeux.
Et que trouvait Daudet dans le chant des cigales ?
Où est la mélodie du vent dans ses rafales ?
Ce vent qui, paraît-il, nous chante tant de choses,
Celui qui, caressant les lauriers et les roses,
Inspira à la fois Chopin et George Sand,
Près de Valdemosa aux jardins luxuriants.
Même pas ce vent-là ne répète ton nom.
Pourtant je le lui ai dit de diverses façons ;
Je l’ai dit doucement, au gré de mes pensées,
Et puis brutalement je le lui ai crié.
Pas même un seul écho de celle que j’adore !
Rien que le bruit des flots que le vent évapore.
Quand je suis loin de toi, tout me paraît futile,
L’oiseau, la fleur, la mer, ces choses inutiles…
LE GOÉLAND
Mon bel oiseau tout blanc,
Va voir celle que j’aime,
Dis-lui que je l’attends,
Qu’il faut qu’elle revienne.
Dis-lui que j’ai erré
Très longtemps sur la plage,
Après que son voilier
Ait quitté le rivage.
Je passe tout mon temps
Les yeux vers l’horizon
À chercher dans le vent
La douceur de son nom.
Sans elle, aucun chemin
Ne mène à quelque chose,
Plus jamais mon jardin
N’a vu fleurir de rose.
J’ai vu combien de fois
S’échanger les saisons ?
Depuis combien de mois
Vacille ma raison ?
Dis-lui que dans mon cœur
S’entassent les nuages
Et que parfois j’ai peur
D’oublier son visage !
(Poème mis en musique par Jacques Valade)
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